EDMOND ROSTAND
LES
ROMANESQUES
COMDIE EN TROIS ACTES
EN VERS
Reprsente pour la premire fois sur la scne de la COMDIE-FRANAISE
le lundi 21 Mai 1884.
QUARANTE-CINQUIME MILLE
PARIS
LIBRAIRIE CHARPENTIER ET FASQUELLE
EUGNE FASQUELLE, DITEUR
11, RUE DE GRENELLE, 11
1911
Tous droits rservs.
OUVRAGES D'EDMOND ROSTAND
Les Musardises, dition nouvelle, 1887-1893,posies | 3 | 50 |
Les Romanesques, comdie en trois actes, en vers,49e mille | 3 | 50 |
La Princesse Lointaine, pice en quatre actes,en vers, 44e mille | 2 | |
La Samaritaine, vangile en trois tableaux, en vers,42e mille | 3 | 50 |
Cyrano de Bergerac, comdie hroque en cinq actes,en vers, 376e mille | 3 | 50 |
L'Aiglon, drame en six actes, en vers, 271e mille | 3 | 50 |
Chantecler, pice en quatre actes, en vers, 150e mille | 3 | 50 |
Pour la Grce, posie (puis). |
Un Soir Hernani, posie | 1 | |
Discours de rception l'Acadmie Franaise | 1 | |
Paris.—L. Maretheux, imprimeur, 1, rue Cassette.—4856
A ROSEMONDE
PERSONNAGES
- SYLVETTE
- PERCINET
- STRAFOREL
- BERGAMIN, pre de Percinet
- PASQUINOT, pre de Sylvette
- BLAISE, jardinier
UN MUR, personnage muet
SPADASSINS, MUSICIENS, NGRES, PORTEURS DE TORCHES,UN NOTAIRE, QUATRE BOURGEOIS, ETC.
La scne se passe o l'on voudra, pourvu que les costumes soient jolis.
DISTRIBUTIONS
| 1894 | 1899 | 1901 |
---|
Mlle | Mlle | Mlle |
SYLVETTE | REICHENBERG. | HENRIOT. | MULLER. |
| MM. | MM. | MM. |
PERCINET | LE BARGY | G. BERR. | G. BERR. |
STRAFOREL | DE FRAUDY. | COQUELIN CADET. | COQUELIN CADET. |
BERGAMIN | LELOIR. | LELOIR. | LELOIR. |
PASQUINOT | LAUGIER. | BARRAL. | LAUGIER. |
BLAISE | FALCONNIER. | FALCONNIER. | FALCONNIER. |
La musique de scne est de M. GEORGES HE
N. B.—Pour les droits de reprsentation en province ou l'tranger, s'adresser M. R. GANGNAT, agent gnral de la Socitdes Auteurs Dramatiques.
Pour les dtails de mise en scne, s'adresser M. GAILLARD, la Comdie-Franaise.
La scne est coupe en deux par un vieux mur moussu et toutenguirland de folles plantes grimpantes. A droite, un coin du parc deBergamin; gauche, un coin du parc de Pasquinot. De chaque ct,contre le mur, un banc.
Quand le rideau se lve, Percinet est assis sur la crte du mur,ayant, sur son genou, un livre, dont il donne lecture Sylvette,attentive, debout sur le banc, de l'autre ct du mur, auquel elles'accoude.
SCNE PREMIRE
SYLVETTE, PERCINET.
SYLVETTE.
Ah! Monsieur Percinet, mais comme c'est donc beau!
PERCINET.
N'est-ce pas?… coutez rpondre Romo:
Il lit.
C'est l'alouette, Amour, je te dis que c'est elle!
Vois, le bord des vapeurs lgres se dentelle,
Et l-bas, au sommet rose du mont lointain,
Sur le bout de son pied se dresse le matin!
Il faut fuir…
SYLVETTE, vivement, prtant l'oreille.
PERCINET coute un instant, puis:
Personne! Ainsi, Mademoiselle,
Ne prenez pas ces airs effarouchs d'oiselle
Qui de la branche, au moindre bruit, va s'envoler…
coutez les Amants Immortels se parler:
Elle: Amour, amour cher, non, ce n'est pas l'aurore,
Mais c'est, pour clairer ta fuite, un mtore!
Lui: Puisqu'elle le veut, eh bien, soit! ce n'est point
L'alouette qui chante et l'aurore qui point:
Ce reflet, c'est le tien, Cynthia, dans la nue!
Vienne la Mort, la Mort sera la bienvenue!
SYLVETTE.
Oh! non, je ne veux pas qu'il parle de cela,
Ou bien je vais pleurer…
PERCINET.
Alors, restons-en l!
Et, jusques demain refermant notre livre,
Laissons, puisqu'il vous plat, le doux Romo vivre.
Il ferme le livre et regarde tout autour de lui.
Quel adorable endroit, fait exprs, semble-t-il,
Pour s'y venir bercer aux beaux vers du grand Will!
SYLVETTE.
Oui, ces vers sont trs beaux, et le divin murmure
Les accompagne bien, c'est vrai, de la ramure,
Et le dcor leur sied, de ces ombrages verts;
Oui, Monsieur Percinet, ils sont trs beaux, ces vers!
Mais ce qui fait pour moi leur beaut plus touchante,
C'est que vous les lisez de votre voix qui chante.
PERCINET.
SYLVETTE, soupirant.
Ah! pauvres amoureux!
Que leur sort est cruel, qu'on fut mchant pour eux!
Avec un soupir.
PERCINET.
SYLVETTE, vivement.
PERCINET.
A quelque chose
Qui vous a fait soudain devenir toute rose!
SYLVETTE, de mme.
PERCINET, la menaant du doigt.
Oh! la menteuse… aux yeux trop transparents!
Je le vois, quoi vous pensez!…
Baissant la voix.
SYLVETTE.
PERCINET.
A votre pre, au mien, cette haine
Qui les divise!
SYLVETTE.
Eh! oui, c'est l ce qui me peine
Ce qui me fait pleurer en cachette, souvent.
Lorsque, le mois dernier, je revins du couvent,
Mon pre, me montrant le parc de votre pre,
Me dit: Ma chre enfant, tu vois l le repaire
De mon vieil ennemi mortel, de Bergamin.
De ce gueux, de son fils, dtourne ton chemin;
Promets-moi bien, sinon, vois-tu, je te renie,
D'tre, pour ces gens-l, toujours, une ennemie,
Car, de tous temps, les leurs ont excr les tiens!
J'ai promis… Vous voyez, Monsieur, comme je tiens.
PERCINET.
Et n'ai-je pas promis mon pre, de mme,
De vous har toujours, Sylvette?—et je vous aime!
SYLVETTE.
PERCINET.
SYLVETTE.
PERCINET.
Un gros… que voulez-vous? Plus on est empch
D'aimer quelqu'un, et plus il vous en prend l'envie.
Sylvette, embrassez-moi!
SYLVETTE.
Elle saute du banc et s'loigne.
PERCINET.
SYLVETTE.
PERCINET.
Chre enfant,
Je dis ce dont encor votre cœur se dfend,
Mais ce dont plus longtemps douter serait un leurre!
Je dis… ce que vous-mme avez dit tout l'heure,
Oui, vous-mme, Sylvette, en comparant ainsi
Les Amants de Vrone aux deux enfants d'ici.
SYLVETTE.
PERCINET.
Si!… Mon pre et ton pre
A ceux de Juliette et de Romo, chre!
C'est pourquoi Juliette et Romo c'est nous,
Et c'est pourquoi nous nous aimons comme des fous!
Et je brave la fois, malgr leur haine aigu,
Pasquinot-Capulet, Bergamin-Montaigu!
SYLVETTE, se rapprochant un peu du mur.
Alors, nous nous aimons? Mais, Monsieur Percinet,
Comment a s'est-il fait si vite?…
PERCINET.
L'amour nat,
On ne sait pas comment, pourquoi, quand il doit natre.
Je vous voyais souvent passer de ma fentre…
SYLVETTE.
PERCINET.
Et nos yeux causaient en tapinois.
SYLVETTE.
Un jour, l, prs du mur, je ramassais des noix,
Par hasard…
PERCINET.
Par hasard, l, je lisais Shakespeare;
Et—pour unir deux cœurs vois comme tout conspire…
SYLVETTE.
Le vent fit envoler, psst!… chez vous, mon ruban!
PERCINET.
Pour le rendre, aussitt, je grimpai sur le banc…
SYLVETTE, grimpant.
PERCINET.
Et depuis lors, petite,
Chaque jour je t'attends, et chaque jour plus vite
Bat mon cœur lorsqu'enfin monte, signal bni!
L, derrire le mur, ton doux rire de nid,
Qui ne s'achve pas sans que ta tte merge
Du fouillis frmissant de folle vigne vierge!
SYLVETTE.
Puisque nous nous aimons, il faut nous fiancer.
PERCINET.
C'est quoi justement je venais de penser.
SYLVETTE, solennellement.
Dernier des Bergamin, c'est toi que se lie
La dernire des Pasquinot!
PERCINET.
SYLVETTE.
On parlera de nous dans les ges futurs!
PERCINET.
Oh! trop tendres enfants de deux pres trop durs!
SYLVETTE.
Mais, qui sait, mon ami, peut-tre l'heure tinte
O Dieu veut que, par nous, leur haine soit teinte?
PERCINET.
SYLVETTE.
Moi, j'ai foi dans les vnements,
Et j'entrevois dj cinq ou six dnoments
Trs possibles.
PERCINET.
SYLVETTE.